dimanche 29 juillet 2007

Quand l'Afrique s'éveillera, le monde sera sauvé !

Je dois avouer que je ressens et que je partage le sentiment de révolte exprimé par Uzodinma Iweala, un auteur nigérian, dans un article coup de gueule que Le Monde a publié dans un "Point de vue", intitulé : Cessez de vouloir "Sauver" l'Afrique !

Le propre de notre société d'aujourd'hui est de nous proposer, au motif d'un dépaysement (réel), façon d'échapper à notre condition ne serait-ce qu'un moment, de nous plonger dans la réalité des autres. Celle des contrées "déshéritées" parce que riches en attraits touristiques ne vient pas en dernier. Ce faisant, l'avion confronte non seulement nos organismes mais aussi nos sentiments aux réalités d'ailleurs. Et c'est, le plus souvent un choc terrible dont il est difficile de se remettre. Car ce retour aux sources originelles apporté par les paysages se paie au prix fort en termes de culpabilité au plan humain. Même si on a fait le choix de s'isoler dans une réserve à "blancs", barricadé derrière de hauts murs, gardé par des milices, la route parcourue dans la poussière entre l'aéroport (et quel aéroport !) et l'hôtel révèle une réalité dont la dureté par rapport à la notre, exclut l'autre de façon rédhibitoire. Non seulement, il est différent, mais qui, plus est, il est pauvre. Insupportable ! Du coup, d'un côté comme de l'autre, les écarts dépassant l'entendement, s'établit un échange fou visant à réduire, comme on le dit d'une fracture, un écart qui, contrairement aux apparences, n'est pas seulement quantitatif. Donner ce que l'on a à ceux qui ne l'ont pas en pensant que cela peut suffire est humain mais totalement idiot et complètement à côté de la question de fond. Celle de donner à l'autre la capacité de prendre la main sur son destin, de penser et même de rêver un avenir et les moyens d'en faire une réalité.

Du coup, l'humanitaire est condamné à devenir, par nature même, inhumain.

Certes, il y a les urgences. L'aide à personnes en danger. Mais cette activité vire vite à un activisme qui masque la quête de bonne conscience nécessaire pour supporter l'insupportable. Dû moins au poids de l'inégalité qu'à celui de l'injustice.

Parce que le décalage constaté n'est pas seulement le fait du temps et de l'espace. Il est aussi la conséquence directe du constat que notre richesse provient du pillage et de la destruction des ressources des autres, en général, et des leurs en l'occurrence. Et le plus étonnant, dans l'affaire, c'est qu'il n'y a besoin ni de discours ni de dessins pour en être convaincu. Le choc des différences suffit. Ça saute littéralement aux yeux.

Dans ces conditions d'inégalités entretenues, les solutions font le plus souvent problèmes et accentuent encore le fossé repoussant les plus démunis dans des situations encore plus insoutenables qui suscitent à leur tour des solutions de plus en plus problématiques pour la condition d'homme, de femme, d'enfants. De là-bas ,mais d'ici aussi..

Le soutien à nos agriculteurs qui ne font que détruire leurs perspectives de survie à terme, tue aussi sûrement dans ces pays. Le poulet des surplus européens extermine, malgré ses coûts quasi insignifiants, l'élevage local. Elever un poulet pour le vendre ne peut plus nourrir ni son homme, ni sa famille dans les pays d'Afrique touchés par l'aide européenne... Vous me direz que ce n'est pas mieux sur les marchés internationaux des produits agricoles où la production des pays dits "pauvres" ne peut lutter contre les prix subventionnés de la production des pays riches. Décidément, cette richesse-là rend pauvre.

Dans ces conditions, l'aide est condamnée à virer à la catastrophe humanitaire. Argent non distribué ou mal distribué, coûts de collecte, de gestion et de distribution qui s'envolent. Et la plaisanterie de circuler : l'Afrique a connu trois calamitiés. Les missionnaires, les militaires et... les ONG.

Et le propos, le plus souvent malheureusement, est totalement justifié. Parce que tant que l'on n'ira pas au fond, la démarche consistera à arroser, au goutte à goutte, un désert. Ce qui, à la limite serait le moindre le mal. Parce que le pire est ailleurs.

Le pire, c'est que, par nature, l'ONG ne peut devenir qu'un vrai business qui enrichit plus sûrement les riches que les pauvres... Question d'industrialisation de l'activité qui du coup ne peut plus parvenir à traiter des vraies questions qui "pèsent" chacune quelques centaines d'euros dès lors que l'on dispose de millions sinon de milliards de ces euros ou de ces dollars.

Et donc la question est ailleurs.

En matière humaine, misère ou pas, la seule solution qui tienne est celle qui apporte à chacun une réponse qui tienne à la question de l'avenir. Le sien. Ce que non pas l'aide, mais l'intention et la politique d'aide évacuent par nature. Non parce qu'elle s'inscrit le plus souvent dans l'immédiat, mais parce que, plus fondamentalement, elle consiste à projeter sur l'autre sa vision à soi de l'avenir. Et la "bonne volonté" de la jeune étudiante blonde "agressant" l'homme noir qui passe "indifférent" devant son étal militant, d'un "vous ne voulez pas sauver l'Afrique ? " accusateur à de quoi effectivement révolter Uzodinma Iweala. Parce que, malgré les apparences et nos attitudes, la vraie richesse, celle des hommes, n'est plus chez nous mais bien là-bas.

Non seulement parce que le pouvoir d'achat de ceux que l'on qualifie (condamne) de pauvres n'est pas insignifiant (5 000 milliards de dollars dit la Banque Mondiale) mais aussi parce que le montant même de ce pouvoir d'achat du fait qu'il surprenne, montre bien que le vrai drame, c'est que l'on étouffe bien les "pauvres" et leurs richesses qui dépassent, et de loin, leur seul pouvoir d'achat.

Force est de constater que les Africains survivent encore là où la plupart des autres civilisations ont disparu ou ont été assimilées. Et ce n'est pas rien. Ils le doivent, je le crois, à l'énergie et au génie que leurs conditions de vie nécessitent pour simplement exister.

C'est dire que le jour où l'Afrique s'éveillera, ce qui ne saurait tarder, c'est le monde entier qui saura sauvé. Parce que cela signifiera que ceux que l'on dit les plus pauvres et les plus exclus, catégories dont relève de plus en plus une majorité sans cesse grandissante des populations du monde - y compris et surtout dans les pays dits riches - ont su prendre la parole et s'en servir moins pour asservir les autres que pour valoriser ce qu'ils sont et ce qu'ils savent.

Alors, il est urgent de cessez de vouloir "sauver" l'Afrique. Il est grand temps, plutôt, de chercher à nous donner notre chance à tous.


1 commentaire:

Anonyme a dit…

tout est dit,et on ne se lasse pas de le lire, et ça fait mal