mardi 18 septembre 2007

Donner à voir vs Donner à vivre

L'exposé de Yann Arthus-Bertrand de son projet "6 milliards d'autres" (cliquez ici) définit très bien ce qu'est une économie de subsistance par rapport à une économie d'échanges, celle dans laquelle vivent les gens aisés, quand il rapporte :"... Le soir, au coin du feu, cet homme m'a raconté sa vie, ses envies, ses ambitions - elles se résumaient en quelques mots : "nourrir ma famille"."

C'est après que cela se gâte un peu quand il ajoute :" En dépit de la pauvreté, de la sécheresse... Je pensais connaître tout cela. En réalité, je n'en ai pris conscience que lorsque cet homme me l'a raconté, avec ses mots, en me regardant droit dans les yeux, sans se plaindre et sans rien me demander... Cette rencontre m'a marqué au coeur et a changé ma vision du monde."

L'ennui, c'est qu'il exprime là les impressions d'un homme descendu, accidentellement, sur ce coin de Terre, ce qui, malheureusement, n'arrive pratiquement pas aux cinq milliards neuf cent millions neuf cent mille neuf cents quatre-vingt dix neuf autres pour qui la vision du monde ne peut que se troubler à ce genre de récits, mais pas changer fondamentalement. Et pour cause.

Proposer ce site ("6 milliards d'autres") est une démarche généreuse mais ambiguë comme toutes nos démarches fondées sur la seule compassion. Car il leur manque une dimension fondamentale. Certes, le procédé crée le lien parce qu'il amène chacun à s'exprimer, c'est-à-dire à produire. En l'occurrence, à dire. Et aux autres d'entendre.

Pour peu que l'image soit belle et la personne bien choisie, ça marche. C'est même fait pour ça. Mais la limite même de ce projet, c'est que cette production est le reflet de nos préoccupations à nous Occidentaux. Elle dit ce que nous avons envie d'entendre. Pas ce qu'a raconté cet homme/ "petit prince" à Yann Arthus-Bertrand, aviateur perdu dans le désert. Là réside la difficulté majeure. Le piège même des technologies de communication. Leur mise en oeuvre, ici la "nécessité" de mettre en place une grille commune de questions, amène à passer, le plus souvent si on n'y prend garde, à côté de l'essentiel : la vie des gens.

Il n'y a pas d'utilisation neutre et transparente des outils de communication. Utiliser ce type de moyens implique que l'on en accepte la pleine et entière responsabilité. Sinon ce ne sont pas les gens qui communiquent mais nous qui communiquons sur eux. Et ce n'est pas du tout la même chose.

Peut-on pour autant se laver les mains de l'injustice ? Non, bien sûr. Mais si on veut donner pleinement sa place à l'autre, alors il faut s'en donner pleinement les moyens. On ne peut pas se contenter de donner à voir. Il faut aller nettement plus loin. Il faut réellement donner à vivre... aux autres parce que s'il n'en est pas ainsi que nous sera-t-il donner à vivre à nous ? Des émotions ? C'est très nettement insuffisant. Et c'est là tout l'enjeu, en réalité de la diffusion des techniques de communication.

Il faut donner, aux uns et aux autres, non seulement les moyens de vivre leur vie mais aussi de montrer ainsi la part qu'il prend dans la construction de l'avenir. Parce que ceci a pour conséquence directe de permettre au spectateur d'échapper au destin de voyeur, d'être rétabli dans sa dignité humaine en étant celui qui participe, y compris en tant que spectateur élément d'audience, à l'histoire de l'humanité en train de se faire et de se construire.


samedi 15 septembre 2007

Les fabriques du bonheur

J'ai écouté la radio ce matin. J'ai entendu deux émissions qui vont toutes deux dans la même direction, celle de ce que j'aurais bien appelé la "Fabrique de sens" si l'expression n'avait pas déjà été empruntée comme titre de catégorie par l'auteur de ce blog remarquable "Tinhinane" (cliquez ici) (à voir la catégorie "Plume & Clavier", entre autres).

La première de ces émissions diffusée ce matin 15 septembre entre 7h00 et 8 h00 sur France Culture, s'intitule "Terre à Terre" et son thème aujourd'hui était "Le jardin zoologique de la Tête d'Or à Lyon" (cliquez ici).

A l'écoute de cette émission, je me suis rendu compte que l'évolution de la vision de ce qu'était un zoo était une bonne nouvelle pour l'humanité. Pourquoi ? Comment ? Ecoutez l'interviewé. Ça passe par une ouverture sur les différences et leur prise en compte. Ça montre aussi que c'est bien là, la voie de l'avenir tant elle produit du bonheur.

La seconde de ces émissions est "Masse critique". Diffusée aussi ce matin mais de 8h10 à 9h00, toujours sur France Culture, avait pour titre "Que peut l'industrie du disque face au téléchargement illégal ?" (cliquez ici) Grâce à la qualité de l'invité, Patrick Zelnik, patron fondateur de la maison de production "Naïve", on est allé, là aussi, à l'essentiel. Le piratage n'est pas seulement une cause. C'est aussi une conséquence et donc la question a permis d'aller au fond : c'est quoi produire du "bien culturel" ? (et non c'est quoi commercialiser du bien culturel ?). Heureusement, il ne sera question qu'en toute fin d'émission du sujet annoncé.

A écouter sans modération. Toutes deux mériteraient, amplement, d'être "remboursées" par la sécurité sociale.

Au terme de ce billet, confronté à la nécessité de remplir la case "titre", grâce à tous ces gens-là, il m'est venu celui-ci : les fabriques du bonheur.


jeudi 13 septembre 2007

Penser avant d'agir

La matinée a commencé sur les chapeaux de roue...

Tout d'abord cette émission de France Culture, "La Fabrique de l'histoire" diffusée ce matin et dont le thème était "Libertés publiques" (cliquez ici).

Ça dure une heure, mais si vous n'avez pas le temps, vous pouvez écouter seulement l'intervention d'une professeur Claude Gauvard qui commence 5'19.

Le constat, il n'y a pas d'instauration de liberté sans limitation d'autres libertés.

C'est dire que le discours sur l'intelligence collective se révèle extrêmement réducteur dès lors que l'on sort du champs restreint d'une certaine vision de la connaissance et de ses utilisations.

Ce qui est en jeu avec le niveau atteint par le déploiement - la prolifération ? - des TIC dépasse largement ce cadre étroit. Et donc, en rester à une intelligence auto-productrice, dès lors qu'elle est organisatrice, ce qui est son sort naturel, débouche sur tous les excès tant, en final, l'intelligence est fonction des libertés de pensée et d'expression.

C'est dire qu' il n'est pas possible de dissocier sérieusement l'intelligence et les savoirs du reste de la vie sociale, culturelle et politique. Sauf, à refuser de voir et de révéler, ce qui permettrait de poser sinon les règles du moins les principes du jeu en cours, moins le pourquoi que le pour quoi (en deux mots) du défi technique, des intérêts en jeu (la finalité pour chacun et pour tous) et donc la question de savoir à qui profite, en fait, la démarche proposée et quels en seront les victimes puisque que dès lors, la démarche ne peut être qu'à somme nulle.

Le silence, l'opacité dans laquelle baigne le déploiement des NTIC et donc l'avenir de chacun au plan sociétal, trouvent essentiellement leur source dans l'immédiateté technique très bien résumée par la loi de Moore qui pose que la capacité des composants double tous les 18 mois ! Que la société suive ou non n'étant pas la question...

Et pourtant. Il est clair que le déploiement des techniques impacte l'humain, lui dont les rythmes de renouvellement des modes de pensée relèvent plus de la vingtaine d'années que de la douzaine et demie de mois. Et donc tous les propos sur l'intelligence et la société de l'information reposent sur une vision technique, ni réelle, ni humaine des sociétés (l'humain étant une dimension qui n'exclut pas la technique mais qui permet, bien au contraire, de traiter de son intégration à la société et donc de ses usages réels, ceux qui établissent son utilité effective et donc pérenne. Le contraire du gadget.)

C'est donc dire que les propos tenus par les chantres du déploiement fondé sur des arguments relevant de la logique technique sont fondamentalement manipulateurs. C'est le cas, même s'il n'en est pas conscient, de ce billet de Pierre Bellanger (Le réseau social : avenir des télécoms). Cela étant, comme il est le patron de Skyrock, il est facile de comprendre pourquoi.

Le plus troublant, c'est la forme. En l'occurrence, un billet dans un blog, présenté donc comme un éditorial de presse. En fait, comme pour le blog M.-E. Leclerc, il s'agit de faire l'apologie d'une pratique, reflet d'un intérêt particulier. Le fait que ces deux personnes soient "cohérentes" (elles croient et pensent ce qu'elles font et ce qu'elles disent), ne doit pas masquer le fait que chacune d'elles ne fait que professer sa Vérité. En fait, une vérité dont il faut évaluer l'impact, c'est-à-dire les effets tant au plan vertueux que pervers.

C'est là une dimension éthique qui ne me semble pas prise en compte quand on parle d'une intelligence collective fondée sur les réseaux techniques où la machine est érigée en acteur alors qu'elle ne peut-être qu'un moyen. Sauf à instrumentaliser l'homme, bien sûr. Ce qui, il est vrai, permet d'éviter de se poser à propos des développements techniques, la question de savoir au service de qui ? et pour quoi faire ? puisque la machine est censée apporter la réponse d'elle-même dès lors qu'elle "fonctionne". Or, justement, les choix d'avenir, pour chacun et pour tous, dépendent des réponses apportées à ces questions. A force de les éluder, il est "normal" que notre vie, notre quotidiens, notre avenir s'enlisent dans la précarité, reflet du rythme technique.

Mais il ne faut pas désespérer. Même si, compte tenu des dynamiques actuelles, il faut moins compter sur l'intelligence que sur les effets insupportables de l'absurdité pour sortir de la situation dans laquelle on est.

Car plus cela va aller et plus on va buter sur des pseudo-solutions générées par la techno-pensée consommatrice - supprimer les régimes spéciaux de retraite, par exemple - et plus on va se trouver confronter aux vrais questions. En l'occurrence, 1) qu'est-ce que la pénibilité au travail 2) Quelles sont les pénibilités qui justifient un départ à la retraite plus précoce, et celle qui relève de l'amélioration ou de l'aménagement ponctuel des conditions de travail ? 3) et donc quelles sont les pénibilités qui relèvent de mauvaises pratiques de gestion des hommes et, si on va jusqu'au bout du propos 4) comment sanctionner ces pratiques tant au plan d'une organisation (cela concerne pas seulement les entreprises mais toutes les collectivités de travail), qu'au plan individuel (les abus d'un chef) puisqu'elles coûtent si cher à la collectivité ?

C'est le sujet qui a été évoqué, toujours sur France Culture, ce matin, 13 septembre 2007, lors du débat, cette fois, organisé lors de l'émission "Les matins de France Culture" et dont le thème portait sur la réforme des régimes spéciaux de retraite (cliquez ici). Emission à écouter à partir de 1:33:00 pour les questions induites et donc la nature même des débats et puis, sur le plan de l'approche de ces questions, à partir de 1:45:00 l'intervention de Bernard Brunhes (voir le site de France Culture pour les précisions le concernant) qui, parlant de la nécessité d'une méthodologie, soulève la question centrale de l'explicitation des buts et finalités des démarches nécessaires à une bonne détermination, déjà, des moyens de mise en oeuvre. A commencer par le temps nécessaire dès lors qu'il s'agit moins de réformes en soi que de prendre en compte et d'accompagner des évolutions lourdes de la société.

A suivre l'actualité présidentiel, on en est loin. Trop loin.


samedi 8 septembre 2007

Sciences citoyennes, le paradoxe

Comme vous pouvez le constater, je suis en train d'essayer de rattraper le retard dû à plusieurs semaines de "fracture numérique". Francis Pisani, encore lui, a publié une série de billets suite à un week-end passé chez Google pour assister à une réunion organisée par l'éditeur Tim O'Reilly à qui on doit le concept Web 2.0.

A propos de ce forum, SciFoo 07, Francis Pisani a donc publié un billet intitulé "La science citoyenne ?" qui m'a inspiré le commentaire suivant :

"En fait la question d’une science citoyenne renvoie à une étape cruciale de l’histoire de la connaissance humaine. Si il faut en croire Bertrand Saint-Sernin (La raison, “Que sais-je ?” p.98) le pas aurait été franchi à l’entrée en guerre des Etats-Unis en 1941 avec le lancement du Manhattan District Project qui allait aboutir à l’invention de la première bombe atomique. Ce programme consacrait dans les faits la fin du concept de “l’honnête homme”, capable de maîtriser tous les savoirs pour comprendre sinon le monde du moins un domaine de la connaissance.


A partir de là, effectivement, tout devient compliqué parce que dans ces conditions, s’il n’y a plus de vision globale tout devient non seulement discutable et discuté y compris l’intérêt général, mais aussi ce qui permettait de trancher, à savoir l’autorité (encore elle !) qui a vu ainsi sa légitimité remise en question de facto au point de la rendre discutable elle aussi.

Face à une telle vacance, scientifiques et techniciens se sont empressés de ne pas traiter des solutions - qui impliquent des choix politiques et donc idéologiques - mais uniquement de problèmes ce qui évite effectivement de prendre des responsabilités mais amène à passer à côté de l’essentiel : l’avenir.

Mais cela n’aurait pas été trop grave si à ce premier évitement, la science et la technique n’y avait pas ajouté une couche supplémentaire visant cette fois à exclure tout ce qui pouvait relever de l’humain au prétexte que ce n’était pas mesurable. Au total, cela fait donc au moins une soixantaine d’années que les sciences et les techniques n’ont qu’un seul souci : développer des savoirs et des moyens dont l’homme est exclu et uniquement instrumentalisé tant au niveau de la famille qu’en société, au travail, à l’école…

Parler de science citoyenne relève du bon sentiment… Est-ce le rôle, la mission des scientifiques ? Est-elle possible dans la mesure où la science n’est pas fondée sur la réalité mais sur sa modélisation, c’est-à-dire sa réduction ? Dans ces conditions, la formule science citoyenne relève du paradoxe… même si dans l’idée, vu ses usages actuelles, cela relève effectivement de l’urgence. Mais là encore, la solution, en final, c’est le vrai problème, la question étant : Comment rendre dirigeable un monde sursaturé d’informations ? Car trop d’information ne ute pas l’information, mais l’action stratégique et politique.
"

Question d'autorité

Le développement de l'Internet, en général, et du Web, surtout le 2.0, en particulier ne cesse de poser sous diverses formes la question non seulement de l'autorité, mais aussi du pouvoir et donc du rapport de forces. Voici le commentaire que j'ai laissé en marge d'un billet publié sur le blog de Francis Pisani consacré au livre d'un auteur portant sur l'ordre ou plutôt le désordre numérique.

"Je crois qu’on mélange un peu tout. L’autorité n’existe que si elle donne un sens reconnu à certaines choses ET IL FAUT IMPÉRATIVEMENT AJOUTER SIMULTANÉMENT dans une situation et un contexte donnés. L’autorité inclut une dimension de pouvoir mais elle ne peut pas et ne doit pas être réduite à cette dimension. Tout simplement parce que l’autorité naissant de domaines nouveaux s’imposent avant de pouvoir représenter un pouvoir. Inversement, un pouvoir établi doit pour survivre imposer son autorité par tous les moyens. Donc il importe de ne pas tout mélanger et de faire un mauvais procès à l’autorité ce qui entraîne psychanalytiquement très loin. Notre monde est assez pathologique pour ne pas y ajouter encore une couche.

Cela m’amène à revenir sur un commentaire d’hier qui faisait référence à l’activité artistique. Je suis son auteur. Nous sommes tous artistes quelque part à condition d’affirmer notre point de vue, c’est-à-dire de l’assumer, le revendiquer et l’assumer envers et éventuellement contre tout. Ce n’est pas dans cette voie que s’oriente le Web 2.0 dans la mesure où, au contraire, il dilue les opinions puisque trop d’opinions tue l’opinion. D’ailleurs, il n’y a pas à se tromper. Il y a des blogs qui marchent (en termes d’audience au moins) et d’autres pas. Cela ne serait pas trop gênant en soi, s’il n’y avait pas des “trucs” qui favorisent les uns et pas les autres. Devenir bogueur à succès est un métier. C’est juste. Ce qui ne l’est pas, c’est de prétendre que ce n’est pas le cas et c’est ce que l’on fait quand on laisse entendre que le Web 2.0 ne repose sur aucune autorité.

@swimmer21. Je me méfie toujours des analogies et plus encore des métaphores… Je ne suis pas certain du tout que Maturana et Varela vous suivraient dans votre extrapolation de la cellule à la société sans autres formes de procès.

@marie toulouse. Au-delà de vos arguments, je suis assez en accord avec votre vision du monde des nouvelles technologies et des questions de fond qu’il soulève d’une part et qu’il s’empresse d’occulter de l’autre. Pourquoi ? Telle est la bonne question, me semble-t-il ? Qu’en pensez-vous ?

De fait, le sempiternel débat autorité/pouvoir , pouvoir/autorité me semble malsain dans la mesure où systématiquement il est dissocié, et pour cause, de sa finalité ! Du coup, on parle de principes alors même que l’autorité est avant tout, en principe du moins, une question de pertinence. Sinon il relève effectivement et exclusivement du rapport de force… Web 2.0 ou pas ce qui confère aux débats des relents “totalement” sectaires. Ce qui manque furieusement à tout ça, c’est du sens."

Et vous, qu'en pensez-vous ?